Patrick Javault, conservateur, responsable de la programmation de l’auditorium du Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg
Pensez-vous que l’Art est un travail ? Si oui comment expliquez-vous le manque de reconnaissance sociale ?Oui, c’est un travail. Mais on peut aussi être un artiste sans travailler. Les deux attitudes sont possibles. Avant d’être un statut social, être artiste c’est une position, une envie. Après seulement rentre en ligne de compte la reconnaissance du Public.
La reconnaissance sociale vient, je pense, quand l’artiste est connu et vend cher.
L’Art est dépendant du marché et c’est le marché qui détermine la reconnaissance d’un individu donc d’un artiste. Un artiste dépend énormément du succès commercial plus qu’un écrivain ou qu'un musicien.
Il faut que son travail puisse plaire à quelques collectionneurs. La difficulté est de séduire un collectionneur qui a du poids, de l’influence, et en même temps d’intéresser un public plus large. Il faut avoir cette ambition d’éclairer les gens, de les réunir autour d’une idée. Mais aussi que le public ait envie d’avoir les œuvres de cet artiste dans leur salon.
Je ne suis pas convaincu comme dans la table ronde, de mettre en avant la reconnaissance sociale. Etre artiste c’est prendre le risque de ne pas être reconnu socialement, méconnu. Mais aussi de devoir parfois trouver d’autres façon de subsister car la voie artistique n’est pas toujours la plus facile.
Mettre en avant cette notion de travail : oui et non.
On a souvent l’impression d’une mauvaise conscience. « C’est un vrai travail que je fais ». Cette position de ne pas travailler dans un bureau. Nous, nous sommes les intermédiaires, on se greffe sur les artistes. Les artistes créent aussi des emplois.
L’artiste a-t-il une place privilégiée dans la société ?
Pas en France. Il n’y a pas d’artiste à dimension populaire, de figures auxquelles le public s’attache. Même les artistes officiels sont loin d’avoir une vraie reconnaissance institutionnelle. Daniel Buren par exemple n’est pas quelqu'un qui est connu de tout le monde et qui passionne les foules. Privilégié oui, quand on arrive à bien vendre ses œuvres mais l’image de l’artiste n’est pas excessivement forte aujourd’hui. Ce qui est fort c’est l’exposition, le secteur culturel. Aujourd’hui Il n’y a plus de figure emblématique comme à une époque, Dali.
Qu’elle est d’après vous la place de l’Art en France, par rapport à d’autres pays ?
Es-ce que l’Etat doit quelque chose aux artistes ? L’attitude de l’Etat face aux artistes est révélatrice d’une société. En France il y a heureusement une forme de respect qui s’attache à la fonction artistique. Il n’y jamais eu autant de centres d’Arts et de FRAC. Dans d’autres pays où les collectionneurs et les infrastructures sont intimement liés, tel qu’en Allemagne ou Etat-Unis sont financés par des collectionneurs privés.
En France, il y a une espèce d’Etat d’exception, car les institutions ont une relative liberté par rapport au marché parce que c’est l’argent public qui finance. Mais la France veut aussi jouer dans la cour des grands et a tendance à lancer de plus en plus de succès.
Le musée d’Arts moderne n’est certainement pas un musée qui lance les courants mais qui les valide. Il accroche sont petit wagon au grand circuit international.
On n’est pas le plus mauvais pays pour soutenir les artistes.
Afin d’avoir une lisibilité dans la société faut-il être un commercial avant d’être un artiste ?
C’est peut-être pas commercial, mais un artiste se doit d’avoir une stratégie artistique. « Etre artiste c’est d’une façon ou d’une autre, savoir au moins parler de son travail, faire les bon choix ». C’est une position d’affirmation, c’est ça une stratégie artistique. Ce qui me frappe aujourd’hui c’est qu’on est beaucoup plus dans l’identification et la reconnaissance de choses que dans la vraie interpertation.
Vous avez dit que les musées gagneraient à renouveler les conservateurs. Pourquoi ?
J’étais très fatigué ce jour, dit-il en rigolant. Il faut tirer du sang neuf car on ne peut pas garder une fraîcheur du regard. Les plus grands commissaires d’exposition n’ont pas toujours su garder un intérêt pour les choses nouvelles. Car il y a un moment ou on a l’impression d’avoir tout vu. Ce n'est pas faux et pas vrai non plus.
Tout a été plus ou moins déjà été fait, mais il faut être attentif à la façon dont cela a été fait, à ces petits changements qui sont parfois très minces et qui peuvent être intéressants.
Que pouvez-vous dire du champ sémantique de l’Art ?
Il y a une sorte de paradoxe. Les artistes on à la fois cette attitude de se vouloir en dehors du monde du travail et en même temps il y a une revendication sérieuse.
A ne pas utiliser le mot d’œuvre d’Art mais à utiliser le mot pièce, travail ou production on a l’impression d’être branché sur la société. C’est une traduction un peu discutable de l’anglais. La traduction permet de paraître un peu moins prétentieux.
L’Artiste doit-il être prétentieux ?
Oui. Il doit être prétentieux. Même dire personne ne m’aime, personne de me comprend c’est être prétentieux. Personne ne vous force à être artiste. On peut être très mauvais. Et les subventions peuvent très bien tomber dans les poches de quelqu’un de tout à fait médiocre.